- rêverie
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• 1580; « délire » déb. XIIIe; de rêver1 ♦ Vieilli Activité de l'esprit qui médite, qui réfléchit. ⇒ 1. pensée, réflexion. « L'analyse d'un mot, sa physionomie, son histoire étaient pour Lambert l'occasion d'une longue rêverie » (Balzac).2 ♦ (XVIe, répandu XVIIIe ) Mod. Activité mentale consciente, qui n'est pas dirigée par l'attention, mais se soumet à des causes subjectives et affectives. ⇒ imagination, rêve, songerie. « Dès qu'il se laissait aller à la rêverie » (Maurois). « La rêverie avec le doigt contre la tempe Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés » (Verlaine).♢ Une, des rêveries. Moment de rêverie, songe. « Les Rêveries du promeneur solitaire », de Rousseau. « Qu'il fallait peu de chose à ma rêverie » (Chateaubriand).3 ♦ Littér. (souvent au plur.) Idée vaine et chimérique. ⇒ chimère, fantasme, illusion.Synonymes :- rêvasserie- rêve- songerieLittéraire. Idée folle, chimériqueSynonymes :- chimère- élucubration- mirage- utopierêverien. f.d1./d état de l'esprit qui s'abandonne à des évocations, des pensées vagues; ces évocations, ces pensées.d2./d Idée vaine, chimérique.⇒RÊVERIE, subst. fém.A. — 1. Vieilli. Délire causé par une maladie; l'effet de ce délire. Il n'a jamais de fièvre qu'il ne tombe en rêverie, qu'il n'ait des rêveries. Des rêveries de malade (Ac. 1798-1878).— P. ext. Idée extravagante. Synon. chimère. Il veut débiter ses rêveries pour des vérités. Cet ouvrage est plein de rêveries. Ce que vous dîtes est une rêverie (Ac. 1798-1878).2. Réflexion profonde dans laquelle l'esprit est plongé; l'intuition, la pensée qui en découlent. Synon. rêve (v. ce mot D 1). Rêverie profonde; rêverie métaphysique, philosophique. La méditation profonde (...) la rêverie intense et presque douloureuse qui arrive au cœur du poète (FLAUB., Corresp., 1844, p. 153). Dans la rêverie, nous réfléchissons, nous cherchons, pour revenir sur le passé, à ralentir, à suspendre le mouvement perpétuel où nous sommes entraînés (PROUST, Guermantes 1, 1920, p. 12).— Rêverie sur qqc. Une admirable rêverie sur la religion (MAURIAC, Journal 1, 1934 p. 44).B. — 1. État de conscience passif et généralement agréable dans lequel l'esprit se laisse captiver par une impression, un souvenir, un sentiment, une pensée et laisse aller son imagination au hasard des associations d'idées. Rêverie délicieuse, heureuse; douce, tendre rêverie; se laisser aller à la rêverie, être perdu dans une rêverie. Le moindre fait me plonge dans des rêveries sans fin. Je m'en vais de pensées en pensées, comme une herbe desséchée sur un fleuve, et qui descend le courant flot à flot (FLAUB., Corresp., 1850, p. 281). La rêverie (...) nourrie par les images de la douceur de vivre, par les illusions du bonheur (...) Ainsi la rêverie n'est pas un vide d'esprit. Elle est bien plutôt le don d'une heure qui connaît la plénitude de l'âme (BACHELARD, La Poétique de la rêverie, 1960, pp. 54-55).♦ Tomber en rêverie. Il avait suspendu, sur le mur de son cabinet, tout contre le miroir et à hauteur de regard, un fort beau portrait du père, devant lequel il aimait de tomber en rêverie (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 20).♦ Rêverie éveillée. Synon. de rêve éveillé. Dans la rêverie éveillée, le rêve de vol paraît sous la dépendance absolue des images visuelles (BACHELARD, L'Air et les songes, Paris, J. Corti, 1943, p. 30).♦ Rêverie poétique. La rêverie positive (...) une rêverie qui (...) peut bien être dénommée rêverie poétique (...). La rêverie assemble de l'être autour de son rêveur. Elle lui donne des illusions d'être plus qu'il est (BACHELARD, La Poétique de la rêverie, 1960, pp. 130-131).2. Le plus souvent au plur. Les pensées, les idées, les images évoquées au cours de la rêverie. Rêveries chimériques, folles; amères rêveries. Chante encore, chante Pasiphaé, divin ivrogne, et fais-moi oublier mes sombres rêveries (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 500).— P. méton., LITT. [P. réf. à J.-J. ROUSSEAU, Rêveries du promeneur solitaire] La Cinquième Rêverie du Promeneur solitaire est un événement capital de la sensibilité moderne (DU BOS, Journal, 1923, p. 338).Prononc. et Orth.:[
]. Ac. 1694, 1718: resverie; dep. 1740: rê-. Étymol. et Hist. 1. a) Déb. XIIIe s. resverie « délire, folie » (CHARDRY, Sept dormants, 1069 et 1085 ds T.-L.); ca 1320 reverie « ivrognerie » (WATRIQUET DE COUVIN, Dits, 390, 301, ibid.); b) XIIIe s. [date du ms.] Resveries [titre d'une pièce en vers formée de jeux de mots, d'espèces de coq-à-l'âne] (ACHILLE JUBINAL, Jongleurs et Trouvères, p. 34); 2. a) 1580 resverie « activité de l'esprit qui médite, qui réfléchit » (MONTAIGNE, Essais, I, 26, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, t. 1, p. 146); 1631 recueil de rêveries (DESCARTES, Lettre du 5 mai ds Œuvres, éd. F. Alquié, t. 1, p. 293); b) ca 1590 « pensée obsédante » (MONTAIGNE, op. cit., I, 26, p. 100); 1776-78 Les Rêveries du promeneur solitaire [titre d'un ouvrage de J.-J. Rousseau]. Dér. de rêver; suff. -erie. Fréq. abs. littér.:2 932. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 4 415, b) 4 675; XXe s.: a) 3 244, b) 4 245. Bbg. KRESS (N.). L'Évol. sém. de rêver et songer jusqu'à la fin du 17e s. Thèse, Strasbourg, 1970, pp. 215-225. — MORRISSEY (R.). Vers un topos littér.: la préhistoire de la rêverie. Mod. Philol. 1980, t. 77, n ° 3, pp. 261-290. — TRIPET (A.). La Rêverie littér.: essai sur Rousseau. Genève, 1979, 148 p.
rêverie [ʀɛvʀi] n. f.ÉTYM. 1680; reverie, XIVe; resverie, XIIe; de rêver.❖1 Vx. État d'une personne qui délire; idées délirantes. ⇒ Délire.1 Vous feindrez d'être en rêverie et de n'avoir plus de raison.2 (…) j'ai rafraîchi ma mémoire de tout ce que vingt-deux jours de fièvre m'avaient un peu effacé; car vous savez que j'étais sujette à de si grandes rêveries, qu'elles me confondaient souvent les vérités.Mme de Sévigné, 531, 4 mai 1676.2 (1580). Vieilli. Activité de l'esprit qui médite, qui réfléchit; « productions d'esprit qu'on fait à force de rêver » (Richelet, 1680). ⇒ Rêver; pensée, réflexion.3 (…) je vois (…) que ce ne sont ici (dans les Essais) que rêveries d'homme qui n'a goûté des sciences que la croûte première (…) et n'en a retenu qu'un général et informe visage (…)Montaigne, Essais, I, XXVI.4 (…) je vous attends avec un petit recueil de rêveries (les écrits préparatoires au Traité de l'homme), qui ne vous seront peut-être pas désagréables (…)Descartes, Lettres, 5 mai 1631.5 Il m'a dit avoir éprouvé d'incroyables délices en lisant des dictionnaires (…) et je l'ai cru volontiers (…) L'analyse d'un mot, sa physionomie, son histoire étaient pour Lambert l'occasion d'une longue rêverie. Mais ce n'était pas la rêverie instinctive par laquelle un enfant s'habitue aux phénomènes de la vie (…) non, Louis embrassait les faits, il les expliquait (…)Balzac, Louis Lambert, Pl., t. X, p. 354.♦ Vision de l'imagination, vision prophétique (cit. 3). || S'élever aux grandes vues générales, aux rêveries (→ Envolée, cit. 3).3 Mod. (Rêverie apparaît dans ce sens chez Montaigne, 1580, mais le mot n'a pris sa valeur actuelle qu'avec Rousseau et les romantiques). Activité mentale normale et consciente, qui n'est pas dirigée par l'attention, mais se soumet à des causes subjectives et affectives. ⇒ Imagination, rêve, songerie; divagation, errance (de l'esprit). || La rêverie, pensée à l'état de nébuleuse (→ Confiner, cit. 3). || Les ondulations de la rêverie (→ 1. Poétique, cit. 3). || La pensée s'évapore (cit. 9) en rêverie. || La rêverie attire (cit. 25), enjôle, enlace, délasse (→ Attrister, cit. 3). || Se laisser aller à la rêverie (→ Installer, cit. 10). || « Les campagnes imaginaires de la rêverie » (→ Idée, cit. 53, Baudelaire). — La Rêverie personnifiée (→ ci-dessous, cit. Vigny, Verlaine).6 Dans la rêverie on n'est point actif. Les images se tracent dans le cerveau, s'y combinent comme dans le sommeil sans le concours de la volonté (…)Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, IIe dialogue.7 (…) la rêverie, comme la rosée, rafraîchit et retrempe le talent; source de joie et de pensée, elle accumule en se jouant les matériaux et les images; c'est le dimanche de la pensée (…)8 Jamais la Rêverie amoureuse et paisibleN'y verra sans horreur son pied blanc attaché;Car il faut que ses yeux sur chaque objet visibleVersent un long regard, comme un fleuve épanché (…)A. de Vigny, Poèmes philosophiques, « La maison du berger », I.9 La rêverie, telle est sa nouveauté, sa découverte, son Amérique à lui (Rousseau).Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 4 nov. 1850.10 Il faut prendre garde à la rêverie qui s'impose. La rêverie a le mystère et la subtilité d'une odeur. Elle est à la pensée ce que le parfum est à la tubéreuse. Elle est parfois la dilatation d'une idée vénéneuse, et elle a la pénétration d'une fumée. On peut s'empoisonner avec des rêveries comme avec des fleurs. Suicide enivrant, exquis et sinistre.Hugo, l'Homme qui rit, II, III, VIII.11 La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté. Remplacer la pensée par la rêverie, c'est confondre un poison avec une nourriture.Hugo, les Misérables, IV, II, I.12 Le foyer, la lueur étroite, de la lampe;La rêverie avec le doigt contre la tempeEt les yeux se perdant parmi les yeux aimés.Verlaine, la Bonne Chanson, XIV.♦ La rêverie de qqn, une rêverie, moment de rêverie, songe (→ Monologue, cit. 5; perdre, cit. 57). || Se livrer à une douce rêverie (→ Avant, cit. 11). || S'abîmer, s'enfoncer (cit. 42) dans une rêverie. ⇒ Rêvasser. || Être absorbé, perdu dans une rêverie (→ Extatique, cit. 4; promenade, cit. 1, Rousseau). || Tomber dans une rêverie. || Sa vue (de l'eau) me jette (cit. 35) dans une rêverie délicieuse. || Troubler la rêverie de qqn (→ Écouter, cit. 5). || « Qu'il fallait peu de chose à ma rêverie… » (→ 1. Mousse, cit. 1, Chateaubriand). || « Je laissais au hasard flotter (cit. 11) ma rêverie ». — Par ext. Pensée, image dans la rêverie. ⇒ Idée, image, pensée (infra cit. 30). || Des rêveries d'une telle noirceur (cit. 7; et aussi noircir, cit. 7). || Perdu dans de plaintives rêveries (→ Mensuellement, cit.). — Littér. || Les Rêveries d'un promeneur solitaire, de Rousseau.13 (…) tenir un registre fidèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent quand je laisse ma tête entièrement libre, et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne. Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi (…)Rousseau, Rêveries…, 2e promenade.14 Amis, ne creusez pas vos chères rêveries (…)Hugo, les Feuilles d'automne, XXIX, « La pente de la rêverie ».15 S'attendrir sur une belle bûche qui brûle, rêver éperdument. Notre rêverie monte de nous, lente et légère comme la fumée.J. Renard, Journal, 22 déc. 1900.16 (…) je me suis couché. J'ai cherché tout de suite une bonne position pour dormir; mais le sommeil n'est pas venu. J'ai senti qu'il allait se refuser longtemps. Quelquefois cependant, quand il tarde à descendre, une rêverie de secours se substitue à lui et m'accompagne jusqu'à l'arrivée de son ombre. Mais cette rêverie aussi s'est refusée. Le monde mobile des songes ne saurait affluer autour d'une idée fixe.H. Bosco, Hyacinthe, p. 117.4 (Fin XVIe). Par ext. (Péj.). Idée vaine, chimérique, sans rapport avec la réalité. ⇒ Abstraction, chimère, illusion (→ Destin, cit. 9). || Son projet n'est qu'une rêverie, une chimère, une utopie. || Laissez ces rêveries qui ne mènent à rien.17 C'est un vieux importun, qui n'a pas l'esprit sain (…)Il fatigue le monde avec ses rêveriesMolière, les Fâcheux, III, 3.♦ Spécialt. || Rêverie morbide, pathologique, où tout contact avec la réalité est absent. || La rêverie du schizophrène.5 Vx. Formation d'images et de représentations involontaires. || Les rêveries du sommeil. ⇒ Rêve.18 Je dors ici dix heures toutes les nuits (…) après que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des bois, des jardins, des palais enchantés (…) je mêle insensiblement mes rêveries du jour avec celles de la nuit (…)Descartes, Lettres, 15 avr. 1631.
Encyclopédie Universelle. 2012.